CIG Magazine N°07

basculement vers le Net. Conçu d’abord pour filmer conférences et colloques, il s’est vite transformé en un média à part entière, conviant intellectuels, auteurs et politologues à s’exprimer sur sa plateforme, amenant une touche culturelle à un contenu déjà très riche. «Nous avons créé un besoin », analyse Sigalit Lavon. Avec 5000 visiteurs uniques par jour et un total de plus de 8200 pages vues au quotidien, Akadem a trouvé son rythme de croisière avant que le coronavirus n’apparaisse. «Nous avons aussi un fort public de chrétiens désireux d’obtenir des ressources. Entre 20 et 30% de nos visiteurs ne sont pas juifs. » Le trafic a même augmenté de près de 10% durant la période de confinement. «Notre mission est de constituer des archives de la pensée juive », ajoute la directrice éditoriale. Qui prend volontairement ses distances avec un autre site, Torah-Box, créé lui aussi au début du XXIe siècle, mais géré depuis Israël. «Nous ne sommes pas concurrents », fait-elle remarquer. « Torah-Box n’a pas la même ligne éditoriale qu’Akadem, ni le même niveau intellectuel. Ce n’est pas le meilleur de la pensée juive. C’est pourquoi nous essayons de ramener un maximum de leurs internautes sur notre site… » LES LIMITES DU VIRTUEL Entre une web-série humoristique et un tuto foulard dédié aux femmes, Torah-Box laisse largement la parole aux rabbins. Lecture de la Paracha, études sur texte, réponses aux questions posées par les visiteurs : le rav est omniprésent. N’est-ce pas excessif ? «Un rabbin est celui qui a la connaissance, il est donc là pour répondre à toutes ces questions », admet Eric Ackermann. «Mais a-ton vraiment besoin de rabbin gourou qui vous dise comment agir jour après jour ? Je ne le crois pas. Un maître doit vous permettre de devenir autonome et de vous dépasser pour trouver votre propre chemin. » Il ne blâme pas les réseaux sociaux, eux qui offrent un accès plus aisé à la connaissance. « Il serait bête de ne pas en profiter. Ils poussent à la curiosité et permettent aux gens de rester jeunes toute leur vie. Ce que je demande, simplement, c’est de garder un sens critique ! » Eric Ackermann a un peu plus de difficulté à accepter ce besoin de « s’arrêter sur le paraître ou l’ostentatoire ». Un comportement encouragé aussi bien par la banalisation de la télé-réalité que par l’art du selfie. Peutêtre espère-t-il que tous ces rabbins, avides d’une audience plus large et d'une visibilité extra-territoriale, renoncent à se transformer en influenceurs… «Un rabbin doit inspirer le respect. S’ il l’ impose, ce n’est plus un rabbin ! » Avec le retour à une certaine normalité, après un an et demi d’une existence rythmé par les gestes barrières, il estime néanmoins que les fidèles ne renonceront pas plus longtemps au minian. « Les personnes âgées ont hâte de retrouver la synagogue », souffle-t-il en guise de conclusion. « Le judaïsme, ce n’est pas ça », affirme encore Sigalit Lavon. « La vie juive, c’est être ensemble, se rencontrer… Cette période va néanmoins modifier profondément notre manière de partager notre foi. On aura le choix de le faire en virtuel ou en présentiel. Je pense notamment aux gens qui ont des enfants et qui n’ont pas toujours la possibilité de se déplacer à la synagogue : ils pourront suivre des enseignements via les réseaux sociaux. L’un n’empêchera pas l’autre. » Pour Floriane Chinsky, il n’est d’ailleurs pas superflu de « réaffirmer ce qui est normal » au moment de sortir de la crise : être libre, sortir de chez soi, s’embrasser, se sentir propre sans se désinfecter les mains à tout-va. Après des mois d’isolement forcé, il peut paraître difficile de s’en rappeler. Reste à savoir ce qui subsistera de tout ça à l’avenir… «Un proverbe dans La Sagesse des Nations dit : si tu plantes des graines dans un pot, seules celles que tu as décidé d’arroser pousseront », conclut-elle. «C’est tellement important ! C’est le sens même du mot Halakha, le chemin : tu dois sans cesse regarder quelles graines tu arroses, pourquoi quelles raisons, dans quelle direction tu choisis d’avancer et quels nouveaux horizons ce choix va-t-il t’ouvrir. » Le judaïsme par Zoom, avec son champ des possibles et ses éventuelles dérives, sera-t-il l’une de ces graines ? L’avenir le dira. Jean-Daniel Sallin www.akadem.org www.torah-box.com « À CHACUN DE GARDER SON SENS CRITIQUE ! » Bianca Favez, violoniste : « Suivre ces cours par Zoom m’a grandement facilité la vie. J’ai des enfants, je n’ai pas toujours la possibilité d’aller à la synagogue. Le fait d’avoir accès à des cours en direct, à des moments compatibles avec mon emploi du temps, est une immense chance pour moi. Je ne vois qu’un risque avec cette pratique : que l’on se perde à trop picorer à droite et à gauche. Quand on est pratiquant, on se doit de suivre une ligne et, lorsqu’on a des questionnements, on prend rendez-vous avec son rabbin et on accepte la réponse qu’ il nous donne, quelle qu’elle puisse être. Avec le Net, on aura peut-être la faiblesse d’aller chercher une réponse qui convienne mieux à nos attentes. » Raymond Azoulay, ingénieur en chimie : « Tous les jeudis soirs, pendant la pandémie, je suivais le cours du Grand Rabbin Izhak Dayan. Je me rends aussi régulièrement sur le site Torah-Box, parce qu’on a le choix des thèmes, on peut faire sa sélection au gré de ses besoins. Il y a bien plus de monde sur Zoom qu’en présentiel, parce que c’est plus simple : on est chez soi, devant son petit verre, on n’a pas besoin de chercher une place de parking… À chacun, ensuite, de conserver son sens critique ! On ne peut pas comprendre ces cours ou ces commentaires si on n’a pas lu les textes avant. On devrait tous avoir la sagesse de renoncer à partager ses pensées si on ne s’est pas informé sur le sujet auparavant. C’est une question de bon sens ! » J.-D. S. LA VIE JUIVE, C’EST ÊTRE ENSEMBLE, SE RENCONTRER… CETTE PÉRIODE VA NÉANMOINS MODIFIER PROFONDÉMENT NOTRE MANIÈRE DE PARTAGER NOTRE FOI. ON AURA LE CHOIX DE LE FAIRE EN VIRTUEL OU EN PRÉSENTIEL. 17 J U I L LE T-SEP TEMBRE 202 1

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