L’HISTOIRE LA QUERELLE QUI DONNA NAISSANCE À LA COMMUNAUTÉ JUIVE DE CAROUGE ® DR Saviez-vous que la Communauté juive de Carouge est née officiellement suite à une altercation entre coreligionnaires ? Quelques années plus tard, elle devenait celle de Genève. Nous sommes en 1789, à quelques mois du début d’une Révolution française qui allait changer la face du monde. A Carouge, petite cité monarchique et sarde depuis 1754, quelques juifs d’origine alsacienne se sont établis depuis une dizaine d’années et bénéficient d’une singulière bienveillance de la part des autorités locales qui leur appliquent le droit commun – un cas rarissime à cette époque en Europe, voire unique au monde, si l’on en croit le récit du Grand Rabbin et historien Ernest Ginsburger. L’un des grands artisans de cette politique tout à fait novatrice est un petit seigneur, Pierre-Claude de la Fléchère, Comte de Veyrier. Un gentilhomme qui a priori ne dispose pas d’un grand pouvoir, mais qui va pourtant jouer un rôle prépondérant dans le développement du territoire carougeois en s’attirant les faveurs d’une Cour établie à Turin qui approuve assez largement ses initiatives libérales – y compris sur un terrain considéré comme dangereux pour l’époque, à savoir celui de la religion. Aussi, après avoir obtenu la permission de faire venir à Carouge des protestants, puis des francs-maçons, il a appuyé l’établissement de juifs provenant d’Alsace. Le 13 mars 1789, dans une lettre qu’il adresse à Turin, il se félicite d’ailleurs du rapide résultat obtenu : «Depuis qu’ils ont permission d’élever leur temple [il parle ici des protestants] quand il leur plaira, ils prient pour S.M. du fond du cœur, comme aussi les juifs, depuis qu’ils ont leur synagogue à la rue Saint-Victor, dans la maison que les gens appellent le Bain des juifs, parce qu’ il y coule dans la cour une source, fort à propos pour qu’ils y puissent faire les ablutions rituelles, ce dont ils sont bien contents ; et lorsqu’ils se disputent, comme il arrive souvent, ils se disputent chez eux. Leurs querelles ne nous regardent pas ; c’est au rabbin de les apaiser, s’ il peut ! » Ces quelques disputes, dont fait état d’un air amusé M. de la Fléchère, n’ont guère d’incidence sur la bonne intégration des juifs dans la ville, même si elles semblent habituelles. Aussi, lorsque quelques mois plus tard, le comte de Veyrier achève la construction de sa vaste demeure seigneuriale à Carouge, il ne se montre guère inquiet à l’idée d’en céder une bonne partie à ses protégés afin que ces derniers puissent y établir une école, une manufacture d’horlogerie, et surtout une nouvelle synagogue mieux adaptée aux nécessités de l’exercice de leur culte. Il pense alors que cette généreuse disposition fera à coup sûr le bonheur des enfants d’Israël établis dans cette petite cité ; mais c’est mal connaître cette toute jeune communauté, peu structurée, dont les membres sont encore passablement dissipés et en proie à des luttes intestines pour la prise de pouvoir. Lorsque, à la première lecture de la Torah, dans la nouvelle synagogue, une vive altercation entre coreligionnaires éclate, l’incident ne manque pas d’attirer les nombreux badauds présents sur la place du Marché La Maison du Comte de Veyrier, lieu d’établissement de la synagogue, de l’école juive et de la manufacture d’horlogerie de Joseph Abraham, premier président de la Communauté israélite de Carouge – 1789 14 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 03 L’HISTOIRE
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